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Armelle Brusq Le Cirqe Noir, une inquiétante étrangeté

 Eyemazing Fall 2012

 

« Un théâtre dans un petit format où se joue la scène, la rêverie, le fantasme. Abordant les thèmes du souvenir, de l'ésotérisme et de l'imaginaire collectif, ces photographies sont la trace des êtres d'un autre temps. Comme dans un manège, les fantômes dansent dans la chambre noire.

Un studio itinérant où autant de figures viennent s'y transformer, s'y représenter, s'y perdre. Ainsi commence le jeu obscur de l'inconscient où tout est possible. » Sara Imloul

C'est en découvrant la calotypie, (procédé photographique datant du 19e qui permet d'obtenir un négatif papier, impliquant ainsi la reproduction des images par contact), que Sara Imloul, 25 ans, photographe française vivant à Paris, entama la série « Le Cirque Noir » il y a 4 ans.

Les tirages originaux sont de petits formats n'excédant pas les 12 centimètres de haut. Ses expositions sont donc une invitation, à s'approcher, pour découvrir un univers intimiste et mystérieux, où se joue le théâtre d’un monde en noir et blanc, tout à la fois obscur et festif . Un précieux petit cirque rappelant la photographie surréaliste et le cinéma expressionniste des années 30.

Les personnages de Sara Imloul, souvent blancs ou pailletés, pierrots, sirènes, danseuses, travestis, hommes passant, ombres parmi les ombres, sont tous au cœur d'un noir dense et profond. Est-ce de la nuit de l'enfance, de ses rêves autant que de ses cauchemars, que s’échappent ces êtres ?
Tel un voyeur ou un spectateur hypnotisé, car c’est à cela que la photographe nous invite, on remarque parfois des visages sans âge, comme vidés de leur âme : comme s’il ne leur restait plus que leurs atours de pacotille comme toute identité. Regardez ce pierrot, dont le maquillage et la peau se défont, ne restera bientôt que la blancheur du costume. Et cette sirène, elle est si belle qu’on en oublierait presque qu’elle est privée de visage. C’est peut être pour cela qu’elle est belle, pure forme étincelante ? 

Sous ses airs de théâtre enfantin, le travail de la jeune Sara ne serait-il pas ses premiers pas d’une réflexion sur l’identité?

Et quand, puisque toute œuvre d’art ne serait toujours qu’une forme d’autoportrait, on lui demande : où se cache-t-il ? Gardant le mystère, elle préfère ne pas répondre.

Sara travaille avec différents boitiers anciens. Le premier ? un cadeau de son grand-père offert à l’ adolescente. Les autres, depuis, elle les a chinés aux puces. Et qu'importe si l'appareil qui la séduit s'avère douteux, une lentille où un déclencheur défectueux .Les surprises ne sont pas rares, elle compte même sur elles et le hasard, qu'elle aime provoquer, pour donner à ses images l'imperfection qu'elle ne pourra dominer et qui fera toute la différence...

« Le procédé d'éclairage est le même que celui que l'on utilise au théâtre » explique-t-elle. Aucun flash lors de la séance mais des lumières continues qui donnent aux images ce charme étrange et pénétrant : les personnages sont-ils figés, en mouvement, uniques ou dédoublés? Est-ce vraiment leur image que l'on voit dans le miroir ? Les contours vibrent, les repères se perdent et pourtant tout semble être exactement à sa place.

Etre face à une photographie de Sara, c'est être face à un tableau vivant d'une inquiétante étrangeté, qu'on ne saurait définir de mobile où d'immobile, de réel ou de rêvé, mais en apesanteur, suspendu comme par des fils invisibles au silence que dure le temps de pause.

« Face à la scène de cirque que je viens de créer, je déclenche l’obturateur quand je me sens traversée par un sentiment de déjà vu.

Spectatrice de l'image que j'ai créée, c'est à ce moment précis que j'oublie où je suis, que je suis prise à mon propre piège et m'en amuse. »

Tout reste encore à jouer au moment du développement, car sortie du révélateur la magie de l'image doit être toujours intacte. Commence alors le deuxième acte, dans la chambre noire où les acteurs laissent place à leurs chimères de papier.

Chaque tirage est retouché au pinceau par l'artiste : elle rehausse les blancs, retravaillant ainsi la nuance des fonds, des étoffes, des paillettes. Un travail minutieux rendant chaque tirage unique.
De la conception de ces tableaux théâtraux jusqu'à l'ultime retouche chimique, pas un seul geste n'est délégué. En parfaite plasticienne, artistiquement comme techniquement, Sara Imloul aime jusqu'au moindre détail être responsable de son oeuvre.

« C'est le prix à payer » dit elle avec un certain humour, « pour entre toutes les images au monde donner la préférence à mes photographies puisque qu'elles parviennent, pour moi, à être l'exacte reflet de mon imagination. » Pas étonnant, s’il s’agit là d’une quête identitaire…Si, pudique, Sara ose parler de son travail avec une telle dangereuse franchise, ce n’est pas en Narcisse, non, c’est avec toute la fougue d’une jeune Rimbaud.

Dans ses mises en scènes, elle dit son goût pour les positions frontales semblables au mode de prise de vue anthropomorphique ; pour les actions à peine perceptibles (une main qui se lève, un jupon qui danse, une tête qui se tourne) ; elle dit aussi son goût d'exploiter la frontière entre le semblable et l’identique, laissant toute sa place à l'illusion: de quoi à chacun pouvoir s'engouffrer, selon l’expression de Roland Barthes, dans « cet admirable tremblement du temps ».

Pour elle, la notion d’esthétique du corps humain fût très tôt remise en cause.
Son inspiration ? Outre celle, évidente, des surréalistes et des constructivistes, celle aussi de Muybridge et de son travail sur la décomposition du mouvement. Elle fut également marquée par les corps nus, statiques et sur fond noir, des premières images anthropologiques, dont certaines parures pourraient bien être le signe, au cœur de la noirceur, d'une salvatrice possibilité de magie, défiant le photographe.

La découverte de Freaks et de sa monstrueuse parade a nourri son attirance pour l'incroyable étrangeté de l'être humain, capable, jusqu’à l’impensable, de se donner à voir dans ses malformations les plus extrêmes. Les spectacles du Crazy Horse, vus à la télévision à l'âge où l’on quitte à peine l’enfance, l'ont fasciné pour la beauté plastique des corps, par la lumière sublimés, découpés, décorés, quand la femme, comme démultipliée, n'est jamais ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.

Dans son travail, la beauté est avant tout affaire d'artifices. Quand Sara Imloul habille ses modèles de couronnes, de perles, de paillettes, c'est avec de la pacotille et du toc. Moins un accessoire a de valeur, plus il en a à ses yeux. Seule la mémoire et les souvenirs sont irremplaçables.

Les souvenirs ?
Les fantômes dans le grenier, les tutus trouvés dans la vieille armoire, les chapeaux et les manteaux d'un autre temps.
Ce qu'elle cherche à capter, c'est la revivance de quelque chose d'enfoui. Est ce la raison pour laquelle ses modèles, sans pour autant être à l'origine de son inspiration, sont tous des êtres qui lui sont proches, capables d'accepter d'être instrumentalisés par la photographe au même titre que les atours à six sous dont elle les pare ? La séance de prise de vue n'est en rien une déclaration d'amour mais un ressentiment du passé rendu magique par l'acte photographique. Son travail de reconstitution fantomatique, hors du temps, est autant un refuge qu'un bouclier contre la peur.

Sara Imloul semble saisir au vol des anges inquiétants. Comme dans les jeux d’enfants, le vieil appareil à soufflet peut se faire cage à oiseaux. Tels des papillons épinglés sur le papier, ce n’est qu’ une fois qu’anges, fantômes et âmes en déroute deviendront images (ne dit-on pas sage comme une image ?) que l’artiste pourra se reposer. 

«Le beau n’est rien que le commencement du terrible que nous supportons encore,
et si nous l’admirons, c'est qu’il dédaigne, indifférent, de nous détruire.
Tout ange est terrifiant.» Rilke (Elégies de Duino)

Pour la jeune femme, l'acte photographique pourrait bien être, par sa beauté poétique autant qu'onirique, le moyen de supporter le monde.

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